Sébastien BAUDOIN (Université de Clermont-Ferrand).
Poétique du paysage dans l’œuvre de Chateaubriand.
Thèse de doctorat sous la direction de Pascale Auraix-Jonchière .
Le paysage dans l’œuvre de Chateaubriand tient une place majeure et l'auteur lui-même en est conscient, au point d'esquisser, au fil de ses écrits, une véritable théorie du paysage à suivre en pointillés. De la « Lettre sur l'art du dessin dans les paysages » en 1795 au Voyage au Mont-Blanc en 1806 - qui, bien plus qu'un voyage, propose, sous la forme d'un essai, une théorisation du paysage de montagnes - Chateaubriand ne cesse de réfléchir sur son rapport à l'espace naturel et sur la manière de le retranscrire littérairement ou artistiquement. Ainsi, les Mémoires d'Outre-Tombe ou l'Itinéraire de Paris Jérusalem proposent un ensemble de réflexions parsemées au gré des récits et qui témoignent de la permanence de ces préoccupations paysagères.
Si Chateaubriand réfléchit de manière théorique sur le paysage, son œuvre met en pratique cette réflexion dans une véritable galerie de « tableaux de la nature » qui nous semble essentielle en ce qu'elle permet d'approcher au plus près la poétique de l'auteur. Pour mieux l'appréhender, nous emprunterons le concept de médiance, théorisé par Augustin Berque, pour penser le paysage dans une interaction entre le sujet percevant et l'espace naturel perçu. Il nous semble que cette théorie est intéressante en ce qu'elle ne conçoit pas le paysage comme une simple projection de l'individu hors de soi, entraînant une reconstruction littéraire au miroir de sa propre sensibilité, mais qu'elle l'envisage plutôt comme une rencontre qui modifie l'espace perçu et décrit. Or, le paysage chez Chateaubriand est bien une véritable rencontre, perçue comme une expérience : le paysage agit sur l'auteur autant que l'auteur agit sur le paysage en le retranscrivant littérairement. Ainsi, c'est dans l'espace de cette interaction qu'il paraît essentiel de percevoir la poétique du paysage à l’œuvre et ce qu'elle nous apprend de l'écrivain Chateaubriand se pensant dans son « être au monde ».
Le rapport de proximité qu'entretient l'auteur avec les paysages nous conduit ainsi à les considérer comme des creusets de la création littéraire et l'objet de notre étude est de cerner la poétique qui préside à la construction des paysages afin de percevoir par leur biais la manière dont Chateaubriand conçoit le rôle des paysages dans son œuvre mais aussi comment lui-même se décrit dans son rapport à l'espace perçu.
Quatre grands rapports à l'espace naturel seront envisagés successivement, en ce qu'ils semblent caractéristiques de l'expérience du paysage chateaubrianesque : la confrontation à l'infini et la logique de l'extension , le rapport dynamique à l'espace et les chemins de traverse , le paysage modelé et instrumentalisé et enfin le paysage dans ses effets (auto)textuels .
A travers ces quatre postulations, il nous semble que l'on peut saisir et apprécier la diversité et le renouveau descriptif apportés par l’œuvre de Chateaubriand, en ce qu'elle est à la fois révolution scripturale et bouleversement ontologique. Il nous apparaît en effet que les paysages sont le foyer de concentration de l'essence même du geste créateur d'un auteur qui se décrivait volontiers comme « compagnon des vents et des flots » et dont l'esprit rêveur post-rousseauïste contient déjà en germe les tempêtes du romantisme flamboyant et la mélancolie faite de vanité qui perdurera jusqu'à la fin du XIXe siècle. Aux multiples reflets des paysages, c'est ainsi l'homme, l'écrivain et l’œuvre qui semblent réunis à un tournant important de l'histoire littéraire et idéologique, où l'idéalisme sensualiste laisse place peu à peu au désenchantement et au renouveau religieux et mystique.